Bonjour Rémy, pouvez-vous nous parler du moment clé qui vous a poussé à créer Ecclo et pourquoi vous avez choisi de vous concentrer sur une mode écoresponsable et 100 % Made in France ?
J'étais chargé de mission développement durable pour une petite commune d'Île-de-France. Je touchais à pas mal de sujets, dont l'alimentation bio dans la restauration scolaire, l'entretien des espaces verts de la ville sans produits chimiques, la rénovation des bâtiments...
A un moment, j'avais l'impression de me disperser et de ne pas être spécialiste d'un sujet en particulier. J'ai eu envie de me recentrer sur un sujet d'actualité dont l'impact est considérable pour la planète : l'industrie textile.
J'étais conscient des ravages dans le secteur, et j'ai eu envie de montrer qu'il était possible de créer des vêtements sans épuiser les ressources de la planète.
Quels sont, selon vous, les défis les plus pressants que l'industrie textile doit affronter en matière de pollution et comment Ecclo se positionne-t-elle pour y remédier ?
Ils sont trop nombreux, et sont liés à l’appétence de grandes enseignes à perpétuer un modèle qui court à sa perte. L'esclavagisme moderne permet de produire de nombreux produits à bas coût, et nos vêtements en sont les meilleurs exemples.
Les marques se dédouanent souvent de leurs responsabilités en pointant les fournisseurs (filateurs, tisseurs, ateliers de confection - souvent à l'autre bout du monde) comme principaux responsables des pollutions liés à la fabrication de leurs produits. Alors que si ces pollutions ont lieu durant ces différentes étapes de fabrication, c'est parce que les marques profitent du peu de réglementation dans ces pays. Et elles vont si loin aussi pour ça. La pollution est moins bien visible quand elle n'est pas en bas de chez soi.
Fabriquer localement, en essayant de partir de l'existant, est une manière de répondre à l'urgence environnementale à laquelle nous sommes confrontés.
Votre nouvelle collection Printemps-Été 2024 s'inspire de la culture urbaine des années 90. Pouvez-vous nous expliquer comment cette inspiration se traduit dans vos créations et pourquoi avoir choisi cette période spécifique ?
Après 5 années à produire des vêtements en France, et sans créer de nouvelles matières, puisque tous sont confectionnés à partir de rouleaux de tissu invendus ou de fils recyclés, le temps était venu de prendre un virage en terme de style.
Pour continuer l'aventure, il a fallu penser un peu à moi, à mes envies, et assez rapidement je me suis tourné vers une période qui m'influence toujours autant, d'un point de vue personnel et professionnelle. Ecclo est apparue comme un très bon relai afin de rendre hommage à une culture et une décennie que j'affectionne particulièrement. Celle de mon enfance.
L'engagement envers une fabrication locale et l'utilisation de tissus revalorisés et recyclés sont au cœur de votre marque. Pourquoi ces choix sont-ils primordiaux pour Ecclo, et quels impacts positifs en résulte-t-il ?
C'est l'essence même de la marque. Pour moi il était inenvisageable d'aller produire des vêtements en dehors du territoire français. Même dans un pays voisin.
A partir du moment où on a le savoir-faire et des ateliers pour confectionner en France, il n'y a pas matière à réfléchir. Il y a la proximité, les bénéfices pour l'économie locale, et la facilité de communication, pour ne citer que ces arguments.
La seule question qui se pose est le prix. Mais si on veut changer les choses, et cela passe par les consommateurs en partie, il faut donc payer les choses à leur juste prix. Que ce soit une marque auprès de ses fournisseurs, et les clients, avec les vêtements qu'ils achètent.
A notre petite échelle on arrive donc à contribuer au maintien d'un savoir-faire dans notre pays, et à sensibiliser certaines personnes sur les bénéfices d'un vêtement avec un faible impact environnemental et un fort impact social.
Avec la démocratisation de la mode responsable, comment Ecclo envisage-t-elle de rendre ses produits plus accessibles tout en respectant ses valeurs éthiques et de durabilité ?
Pour moi la mode responsable est loin de s'être démocratisée. On a beau en parler depuis plus de 5 ans, mais concrètement les actes d'achat ne suivent pas les intentions. On assiste à une stabilité, voir à une régression. C'est lié, entre autre, au fait que les enjeux environnementaux et le dérèglement climatique sont des sujets qui sont moins traités depuis 2/3 ans. Les médias traditionnelles surfent sur d'autres préoccupations, et cela se ressens sur les comportements d'achat.
Si plus de 80% des français répondent vouloir consommer mieux en terme d'habillement, pour le moment cela ne se traduit pas concrètement.
Nos vêtements sont aussi accessibles que ceux des enseignes comme Levis ou Adidas par exemple. Donc l'argument du prix comme frein à l'achat ne tient pas.
Ce qui joue pour une marque, qu'elle soit éthique ou non, c'est la notoriété.
Sans cela, sa durée de vie est limitée.
On ne pourra donc jamais rendre nos vêtements plus accessibles, car nos marges sont les plus faibles du secteur, et c'est ce qui rend le projet difficile.
Ecclo fait quatre promesses à ses clients. Pouvez-vous nous en parler et expliquer comment elles se concrétisent dans votre processus de production ?
La fabrication française, comme expliqué précédemment est primordiale dans la vision qu' Ecclo a de la mode. Se tourner vers des ateliers à taille humaine, et accessibles à quelques heures de train ou de voiture, donne le sentiment de travailler main dans la main, et c'est très appréciable.
Le fait de ne pas produire de matière mais de se tourner exclusivement vers de la matière non utilisée est assez gratifiant. Ça permet de concevoir ce métier d'une façon très différente. Plutôt qu'avoir un éventail de possibilités, la créativité découle de ce qui a déjà été créé.
La durabilité est une vraie promesse vis à vis de nos clients. Sans cela, il serait compliqué de vendre nos produits, et toute la démarche entreprise par la marque depuis 6 ans n'aurait pas de sens. Il faut donc faire des choix et toujours s'assurer qu'au final, le vêtement tiendra après plus de 100 lavages.
Enfin, la production responsable doit inclure toutes les étapes de la fabrication. C'est tout le problème avec le greenwashing entre autres.
Est-ce que c'est le rôle d'une marque de vêtements de planter des arbres en contrepartie de la vente d'un vêtement. Surtout quand cette même marque fait produire la quasi totalité des ses vêtements dans des pays en développement ?
Pour cette nouvelle collection, nous avons pour la première fois utilisé la sérigraphie.
C'est un procédé qui peut s'avérer polluant si on est pas très regardant.
Nous nous sommes donc tournés vers le meilleur ouvrier de France en la matière afin que ce nouvel élément sur une partie de nos vêtements, ait un minimum d'impact environnemental.
Quelles sont vos ambitions pour l'avenir d'Ecclo, et comment envisagez-vous l'évolution de la marque dans le paysage de la mode durable et du streetwear en France et à l'international ?
Mes ambitions sont assez modeste pour être honnête. Continuer à produire des vêtements de la même manière qu'aujourd'hui, et arriver à toucher de plus en plus de monde. La marque n'a pas vocation à croître de façon exponentielle.
Nous avons ouvert notre première boutique à Paris cet été. C'est un grand pas en avant déjà.
Quand on voit le nombre de marques éthiques qui ont dû arrêter faute de rentabilité, résister est déjà une victoire en soi.
Pour en savoir plus : https://ecclo.fr